Continent invisible

L'angle mort de la conscience

Miroir, dis-moi qui est le plus...


Pour avoir un regard critique, il m'est nécessaire d'avoir une hypothèse de
lecture. La mienne sur le cinéma d'ailleurs - dont j'assume le caractère vague, pour éviter de distinguer une culture ou l'autre. En ce qui concerne le cinéma iranien, la situation politique du pays donne lieu à une sorte de publicité - consciente ou inconsciente - aux films qui en viennent. Pour nous, c'est souvent une manière de souligner notre supériorité de monde démocratique, irréprochable qui sait reconnaître et sauver les oeuvres du monde.
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Dans le film de Jafar Panhai, il s'agit précisément de système économique qui gère la culture. Ce système est global. Et c'est précisément de cela qu'il s'agit dans Taxi, film primé de Jafar Panahi. Une analyse fouillée de la situation actuelle de la culture dans le monde nous montrerait la pertinence de sa réflexion ironique et pertinente.

La Source

Mon atelier est le monde, a répondu Ashgar Farhadi, le réalisateur de la Séparation à un journaliste sur la question du public que l’œuvre visait.  Il donnait là une information importante pour qui se pose la question de l’identité des artistes, voire des cultures. iranienne ici, mais de ce monde plus lointain.
Taxi de Jafar Panahi commence comme un voyage qui révèle tout un monde où se croisent des gens avec leurs préoccupations, parfois insolites – comme la superstition des deux femmes -, parfois profondes entre la femme et son mari sur l’effet persuasif de la pendaison, parfois fondamentales, comme les questions de la nièce du réalisateur, jouant le chauffeur de taxi mené par le chemin de ses clients sur toutes sortes d’univers.

L'oppression et valeur

Au cœur du film se profile non pas directement le politique, mais une interrogation sur la valeur de la culture. Un personnage, connu de Jafar, se sert de son taxi pour écouler des films de contrebande sous le manteau. Occasion de la rencontre d’un jeune cinéaste  qui achète des films d’art et d’essai et refuse les blockbusters et les films commerciaux.  Il reconnaît Jafar Panahi et lui pose une question sur la recherche de la substance de ce qu’il a à dire.  Très socratiquement, il est renvoyé à lui-même par le maître.
Cette réflexion sur la valeur de l’art et son rapport à l’argent est en soi toute une pensée sur ce que vaut l’art pour toute société, clin d’œil à l’Occident, qui prend des dimensions terriblement contemporaines dans le monde. Et ces frontières fragiles entre le pouvoir de l’argent et le pouvoir politique décident de ce qu’il faut dire et ne pas dire et de comment le dire. Et finalement, l’économie décide que la valeur quantitative est ce qu’il y a de meilleur pour le monde et l’humanité.
Il semble que souvent, nous n’entendons pas, ou ne voulons-nous pas l’entendre cette petite musique qui nous concerne.  Et on peut comprendre pourquoi. C’est l’angle mort de notre vision.

L'art et...

Et lorsqu’une amie de Jafar, avocate,  vient  à croiser son taxi, lui et sa nièce, elle va rendre visite en prison à l’artiste iranienne emprisonnée et qui fait la grève de la faim, elle fait un portrait d’une société qui induit l’autocensure et le mensonge pour éviter de se faire censurer. Cela nous rappelle quelque chose de très familier, ou devrait.
On voit les prémices avec les règles que donne la maîtresse de la nièce du réalisateur, le rayon de soleil du film et image de l’avenir, avec son langage libre et empreint de son époque, sans marque de frontière, sinon les recommandations de sa professeur pour faire des films commerciaux.  
Le chauffeur de taxi comme métaphore du témoin de la réalité du monde.

la vérité en contrebande

Il doit ruser pour créer et passer en contrebande, s’il faut, son film. À voir, non pour regarder du haut de notre critique la société iranienne, mais pour y reconnaître symboliquement nos propres traces, limites, autocensures et prisons sans barreaux. C’est sans conteste un film universel.Que faisons-nous de nos liberté, si lui, il réussit à surmonter les interdits?
Comme un certain discours de Dürrenmatt pour saluer le prix Nobel de Vaclav Havel. Que l’on peut être à la fois les gardiens et les prisonniers de sa prison.

Sima Dakkus Rassoul

5 avril 2015