Naissance


Benno Besson. Il représente non seulement un dialogue constant depuis que j'ai eu le bonheur et la chance de le rencontrer, mais aussi une présence qui ne se dément jamais. Malgré qu'il a quitté ce monde le 23 février 2006. En sa mémoire, j'ai fondé l'Association Benno Besson, art et mémoire avec le projet de publier un livre sur son théâtre.

Émerveillement

Le premier jour de répétitions d'Hamlet, j'ai senti, en voyant ce grand artiste travailler, que je vivais des moments d'exception. Je comprenais, comme par infusion, pourquoi il donnait telle indication. Bref, je baignais dans quelque chose qui me correspondait entièrement. À la fois d'une haute teneur de pensée et d'un art rare de creuser un texte.
Je venais d'entrer dans une passion totale pour un art subtil et joyeux. C'était plus qu'une découverte, mais toute l'expérience de regard dans ma vie prenait son sens décisif.
Dans ma culture d'origine et d'enfance, le regard joue un rôle essentiel dans l'éducation et dans la communication. J'ai été une enfant méditative et rêveuse. Je regardais beaucoup en profitant de cet éveil du regard propre à  ma culture afghane. Un plaisir de l'enfance d'apprendre le monde par le regard et les contes.
J'ai appris à lire très tôt, car les contes que l'on me racontais me rendaient indispensables d'être moi-même dans cette activité savoureuse.

Gai savoir

Avec Benno, on riait beaucoup pendant les répétitions, et nous avons encore ri à chaque rencontre jusqu'à la dernière fois, une année avant sa mort. Chez lui, l'activité artistique était à la fois concrète, intellectuelle et spirituelle – dans le double sens du terme..
La photo date d'une répétition d'Hamlet, l'une des premières fois où j'ai pris des notes pour lui. Et c'était comme si je l'avais toujours fait. Et pourtant, j'étais là pour suivre ses répétitions et en faire un mémoire de licence. Cela a duré cinq ans. Il m'a engagée pour l'assister avec Dominique Serreau dans son très beau spectacle, Le Sexe faible de Flaubert, en création mondiale, publié à l'Âge d'Homme.

Photo: Jesus Moreno, 1983

Besson-Vitez

        
Hamlet, Benno Besson                              Hamlet, Antoine Vitez

Deux visions

Benno Besson et Antoine Vitez ont monté Hamlet en 1983. J'avais suivi toutes les répétitions de la création de Benno Besson et toutes les représentations en continuant à prendre des notes pour lui. Je suis allée voir la pièce montée par Antoine Vitez au Palais de Chaillot à Paris.
Tous deux ont choisi de monter le texte intégral. Benno Besson l'a mis en scène dans une traduction qu'il a réalisée en collaboration avec Geneviève Serreau. Sa représentation durait plus de deux heures. Quant à Antoine Vitez, il avait choisi de monter la pièce dans la version française de Victor Hugo et avec une durée de quatre heures. Ce qui représente la différence de rythme entre les deux.

Deux philosophies

Les différences entre ces deux esthétiques et les deux visions de leur interprétation étaient éloquentes.
Benno Besson avait intitulé Hamlet, histoire tragique. La folie d'Hamlet était en somme le reflet de la folie guerrière et seigneuriale. La scénographie de Jean-Marc Stehlé, sur la scène de la Comédie de Genève, était habillée de draperies de soie, tel un espace organique et sensuel, resserré. Besson, présente les personnages dans un processus historique, à taille humaine, lyrique et drôle. Les comportements sont une dérive d'une logique malsaine qui mène les humains vers la guerre et la mort. Une destruction de la matière humaine.
Le décor de Yannis Kokkos, tout en hauteur, tragique, montre les humains dans un espace qui les amenuise dans l'univers immense, empreint d'un certain romantisme.

Œuvre d'art

Ce n'est pas le thème qui fait l'œuvre d'art, mais la manière de l'artiste qui l'aborde et la richesse de son regard.
Le succès du travail thématique tient à cette illusion de facilité.